Trump a-t-il raison d’augmenter les droits de douane pour relancer son économie ?
Jouer avec les droits de douane, ce que l’histoire nous apprend
Hello à toutes et tous !
Merci à celles et ceux qui ont rejoint la niousletteure dernièrement.
Si vous ne me connaissez pas encore, je suis Sylvène Poncet, ex-Directrice Commerciale à l’export, aujourd’hui consultante.
Dans cette niousletteure, je vulgarise les enjeux du commerce international, à l’intention des entreprises, des étudiant·es et de celles et ceux qui sont curieux·ses de ces enjeux.
Je suis aussi enseignante en école de commerce et transmets aux étudiant·es ma passion pour les métiers de l’international.
Pour cette édition, j’ai choisi de parler des droits de douane. Pourquoi ?
D’habitude, les droits de douane, c’est un truc technique dont à peu près tout le monde se fout, à part les importateurs et les transitaires.
Mais depuis janvier, pas une semaine ne passe sans que les media n’en parlent.
Car les droits de douane sont devenus l’arme de menace massive dont Donald Trump use et abuse depuis le début de son mandat saison 2.
Donald qui reste fidèle à sa ligne de conduite. Qu’il gère ses entreprises ou un pays, c’est la même technique : tout se négocie dans la brutalité, le chantage et la pression.
Pendant sa campagne, il s’était engagé à revitaliser l’industrie américaine en rendant des emplois à la population ouvrière de l’Amérique profonde… sa base électorale.
Ce qui en soit est louable. Quel dirigeant ne rêve pas du plein emploi et d’offrir des conditions de vie décentes à ses habitants ?
Si ce n’est pour un idéal d’équité entre toutes les couches de la population, au moins pour acheter la paix sociale.
Et in fine, conserver le pouvoir (on n’est pas non plus en présence de philanthropes, hein !).
Mais attardons nous sur la méthode et ses conséquences, à la fois dans son propre pays et sur le monde entier.
Je ne détaillerai pas ses prises de positions radicales sur l’Ukraine, Gaza-Côte d’Azur, ou sa volonté expansionniste au Canada, Groenland ou sur le canal de Panama (mon dieu, pourvu qu’il ne jette pas son dévolu sur Sète 😳).
En même temps, je le comprendrais. C’est quand même « la plus belle ville du monde », selon ma voisine Josiane.
Ce n’est pas l’objet de cette niousletteure et les media d’infos en parlent suffisamment.
Je vais aborder les conséquences à court et long terme de cette stratégie d’augmentation des droits de douane. En revenant sur l’histoire. Car comme disait l’ami Winston : “Ceux qui ne tirent pas les leçons de l'histoire sont condamnés à la répéter”
De 10 à 200% d’augmentation !
Dès janvier, Trump annonce des augmentations substantielles des droits de douanes sur les produits en provenance des principaux pays « partenaires » (ça c’était avant) économiques des USA : Canada, Chine et Mexique mais aussi, l’Union Européenne.
Les trois premiers représentent 43% des importations américaines. Mais aussi 41% des exportations américaines (chiffres 2023).
Certaines hausses ont commencé à être appliquées (10% importations de Chine), d’autres ne cessent d’être différées (25% importations du Mexique).
D’autres encore ont déjà déclenché les hostilités : en réponse aux droits de douane de 25% sur l’acier et l’aluminium entrés en vigueur le 12 mars (tous pays confondus), l’Union Européenne a répliqué avec 50% sur certains produits agricoles américains, dont le whisky et le bourbon. Trump menace en retour de taxer à 200% les vins et alcools européens.
Qui craquera en premier dans ce jeu de dupes ?
Quels sont les effets recherchés ?
Pour Donald Trump, les droits de douane sont un levier pour atteindre plusieurs objectifs :
Faire pression sur le gouvernement mexicain pour lutter contre l’immigration illégale
Faire pression sur le gouvernement canadien pour lutter contre le trafic de fentanyl, un des composants de la fameuse drogue du zombie qui fait des ravages aux USA, et qui est produite dans des labos clandestins au Canada
Rééquilibrer la balance commerciale américaine déficitaire (voir ci-dessous)
Financer les investissements grâce aux droits de douane encaissés
Leur balance commerciale est largement déficitaire.
Bien qu’elle soit positive de 76 milliards de dollars dans les services, ce n’est pas suffisant pour contrebalancer le déficit des échanges de marchandises.
Au total, leur déficit commercial en décembre 2024 était de 98 milliards de dollars.
La mondialisation et la délocalisation des usines américaines en Chine et en Inde sont entre autres responsables de ce déséquilibre.
Une situation très comparable à celle que connaît la France. Je vous renvoie à l’édition 4 de ma niousletteure dans laquelle je fais l’état des lieux de la performance française à l’international.
Sauf que dans l’Amérique de Trump, la volonté de relocalisation industrielle se joue dans le conflit et le bras de fer.
Quelles seront les conséquences à court et long terme pour les américains ?
Conséquences à court terme : pas glop
Produits finis : les consommateurs vont payer plus cher les produits importés qu’ils ont l’habitude d’acheter, alors que Trump avait promis dès son élection une baisse des prix immédiate (« make America affordable again »). Les entreprises américaines ne peuvent pas remplacer à 100% tout ce qui arrive chez eux.
Matières premières et composants : les industriels américains vont les acheter plus cher, ce qui rognera leurs marges ou imposera une augmentation de prix au produit final. Dans tous les cas, il y aura une perte de compétitivité.
Le PIB (la richesse nationale produite) va diminuer, et une récession est envisagée. D’ailleurs, un mot a fait son apparition dans le vocabulaire américain : la Trumpcession (pour récession dûe à Trump).
Pour rappel, on dit qu’un pays est en récession quand son produit intérieur brut (PIB) recule sur au moins deux trimestres consécutifs.
D’ailleurs, interrogé chez ses amis de Fox News sur une possible récession, Trump est un peu gêné aux entournures : “Je déteste prédire les choses comme ça”, avant de reconnaître que le pays risquait de traverser “une période de transition”. Pour pas dire de turbulences.
Bénéfices (ou pas) espérés à long terme
Sur le long terme, Trump espère que ces barrières douanières relanceront l’industrie américaine. Ou que des entreprises étrangères viendront s’installer sur place pour fabriquer.
Lors de son premier mandat en 2018, Trump avait déjà mis en place cette stratégie, en augmentant les droits de douane de 25% sur l’acier et 10% sur l’aluminium.
Avec quels résultats ?
« La plupart des économistes estiment qu'ils ont appauvri les Etats-Unis. Ils ont permis d'augmenter la production américaine d'acier et d'aluminium de 2,8 milliards de dollars en 3 ans, mais la hausse des prix de ces matières premières a eu des conséquences sur les industries qui en consomment. Résultat, ils ont produit 3,4 milliards de dollars en moins sur la même période. Une autre étude avait évalué que pour 1.000 créations de postes dans l'acier et l'aluminium grâce à ces tarifs, 75.000 postes avaient été détruits dans l'industrie manufacturière. »
Les Echos, 11/02/25
De quoi douter de l’efficacité de ces mesures dans une économie hyper interconnectée, dont la production manufacturière dépend des importations de matières premières.
Augmenter, décaler, suspendre… et faire décrocher la bourse américaine
Il s’agit donc d’un pari risqué : à court terme faire entrer les USA en récession, avec des hausses de prix qui déstabiliseraient l’économie du pays.
En espérant qu’à plus long terme, le pays restructure sa capacité de production pour se réindustrialiser.
Tout en restant compétitifs 🤔
D’ailleurs la Bourse US l’a bien compris. Et on sait que la Bourse est un indicateur clé de la confiance des acteurs économiques.
L’indice S&P 500 (les 500 premières entreprises cotées à Wall Street) a chuté de 10,1% en moins d’un mois (au 12/03/25).
Et ça, ce n’est que du côté des importations. Car les autres zones (Chine, UE) ont déjà commencé à augmenter leurs droits de douanes sur certains produits américains. Ce qui ne va pas arranger leurs exportations et donc leur balance commerciale.
Alors, un protectionnisme perdant-perdant ? Que nous dit l’histoire à ce sujet ?
Droits de douane, depuis quand et pourquoi ?
Les droits de douane existent depuis des siècles et ont été l'une des premières formes de revenus des États.
L’ami Wikipedia nous dit :
« On les retrouve dans l'histoire de la fiscalité dans l'Antiquité, en Égypte, en Grèce, à Rome, au Moyen-Orient et dans l'Europe du Moyen Âge. »
Les droits de douane permettent de :
Protéger les industries nationales
Encaisser des recettes fiscales
Servir de levier pour réguler les importations
Ce mécanisme vieux comme le monde (ou presque) a été régulé à partir du 20ème siècle.
En effet, en cas de crise interne, la tentation est forte de se replier sur soi dans une attitude de protectionnisme : on augmente fortement les droits de douane pour limiter les importations et relancer l’activité domestique.
Or historiquement, les périodes de protectionnisme extrême ont souvent eu de graves répercussions sur l'économie mondiale.
La crise de 1929 et la loi Smoot-Hawley aux USA (déjà) en sont un exemple marquant.
Smoot-Hawley, c’était quoi ?
1929 : les Etats Unis d’Amérique connaissent leur première grave crise économique avec le crash boursier d’octobre. Crash qui entraîne le pays dans la récession, la fermeture de nombreuses usines et jette une partie des américains dans une profonde misère.
Ma première compréhension de la crise de 1929, lu quand j’étais adolescente. Un souvenir marquant…
Pour lutter contre cette crise, en 1930 le Congrès adopte la loi Smoot-Hawley. Elle impose des hausses de droits de douane sur environ 20 000 produits importés.
Il s’agissait d’encourager la consommation de produits américains en rendant les importations plus chères. Certains droits de douane atteignent 60 %. Les secteurs agricoles et manufacturiers sont particulièrement concernés.
Si l’intention était de protéger l’économie américaine, la réalité a été tout autre :
Représailles commerciales : en réponse, de nombreux pays (Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne) imposent à leur tour des taxes élevées sur les produits américains.
Les exportations américaines s’écroulent, ce qui aggrave encore la crise économique. En 1933, les exportations américaines auront chuté de 60 % par rapport à 1929.
Effondrement du commerce mondial : au lieu de relancer l’économie, la loi Smoot-Hawley contribue à l’enfoncer davantage en réduisant les échanges internationaux. Entre 1929 et 1934, le commerce mondial plonge de 66 %.
On connaît les répercussions en Europe, et notamment les conséquences dramatiques sur une Allemagne déjà largement endettée après les réparations exigées suite à la première guerre mondiale…
Cette loi est souvent citée comme un cas d’école des dangers du protectionnisme excessif.
Et il faut avoir en tête qu’en 1929, la mondialisation des échanges était loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui !
Les moyens de transport n’étaient pas développés, les coûts logistiques étaient élevés, l’interdépendance économique était faible. Les consommateurs n’avaient pas les besoins d’aujourd’hui et ils achetaient des produits de base largement sourcés et transformés localement. Ce qui n’est plus du tout le cas à présent.
Naissance des accords commerciaux
Après le deuxième conflit mondial, des accords commerciaux internationaux voient le jour.
L’objectif ? Mettre en place des règles communes pour réduire les barrières douanières et favoriser les échanges internationaux.
Le GATT en 1947 (General Agreement on Tariffs and Trade)
Attention : « tariffs » en anglais est un faux-ami. Ici point de notion de prix, il s’agit du mot pour droits de douane.
Le GATT est remplacé en 1995 par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), dont Donald Trump menace aujourd’hui de se retirer
Des accords régionaux sont mis en place : celui qui nous concerne nous français, l'Union européenne (libre circulation des marchandises entre Etats membres depuis 1993), ou l'USMCA (ex-ALENA) entre États-Unis, Mexique et Canada (oups 😕), ou encore le RCEP entre 15 pays de la zone Asie.
Au 22 janvier 2025, 373 ACR (Accords Commerciaux Régionaux) étaient en vigueur ! Difficile de trouver une région dans le monde sans aucun accord commercial avec d’autres pays.
Ces accords visent à fluidifier le commerce et offrir un cadre stable aux entreprises.
Cependant ils sont souvent critiqués pour :
- leur complexité
- les tensions qu'ils génèrent entre les pays : par exemple en ce moment l’accord UE-Mercosur qui favoriserait l’importation de produits agricoles du Brésil et qui mettent les paysans français en colère
- Le fait qu'ils profitent parfois davantage aux grandes multinationales qu'aux PME
La guerre commerciale USA-Chine de 2018-2019
Sous la présidence de Donald Trump saison 1, les États-Unis ont déclenché une guerre commerciale principalement contre la Chine, dont on sait aujourd’hui évaluer les effets. Regardons cela.
Entre juillet 2018 et janvier 2020, les USA appliquent une série de hausses sur les importations chinoises, auxquelles Pékin réplique systématiquement.
En janvier 2020, les deux pays signent la "Phase One" d’un deal commercial, censé calmer les tensions commerciales (pause sur certains droits de douane et augmentation des achats de produits américains par la Chine).
Toutefois les deux pays ont continué à imposer des droits de douane et les achats chinois n’ont pas été à la hauteur de ce qui était prévu (entre-temps, un truc qui s’appelle le COVID est passé par là…).
Jusqu’à la situation que l’on connaît aujourd’hui.
Quels ont été les effets de cette guerre sur les deux économies ?
Globalement, néfastes !
Sur l’économie américaine :
Hausse des coûts pour les entreprises US dépendantes des importations chinoises
Inflation sur certains biens de consommation (électroménager, vêtements)
Perte de compétitivité pour les industries exportatrices pénalisées par les représailles chinoises (agriculture, automobile)
Sur l’économie chinoise :
Ralentissement de la croissance économique, notamment dans l’industrie manufacturière
Réorientation stratégique vers d’autres marchés et accélération de l’innovation technologique nationale pour réduire la dépendance aux États-Unis
La Chine, nouveau géant de la tech
Ce dernier point est celui qui inquiète le plus les acteurs de la tech américaine, habitués à être les leaders mondiaux de l’innovation.
Avec cette guerre commerciale, les chinois ont bien compris qu’ils devaient arrêter de dépendre de leur industrie manufacturière.
Et ils ont mis le paquet…
Après Tik Tok, le lancement fracassant de DeepSeek, solution d’IA générative, plus puissante et moins chère que Chat GPT et consorts, a provoqué un coup de tonnerre dans le monde de la tech.
Le marché ne s’y est pas trompé, puisque dans la foulée, Nvidia (le fabricant des puces électroniques et microprocesseurs qui font marcher les systèmes d’IA) a perdu 593 milliards de dollars de sa valeur boursière !
La Silicone Valley a du souci à se faire.
Est-ce que 2025 reverra le scénario 2018-2020 ? A savoir un ralentissement des chaînes d’approvisionnement mondiales et de la croissance ?
Donald Trump joue un jeu dangereux. Les bénéfices (s’il y en a) qu’il espère retirer de cette stratégie ne pourront se compter qu’à très long terme.
Entre-temps, le commerce mondial aura été déstabilisé, la méfiance entre Etats aggravée, et les populations les plus fragiles encore moins soutenues.
J’espère que cette nouvelle édition de la niousletteure vous a plu. Si vous pensez à des personnes qui pourraient être intéressées, n’hésitez pas à la partager.
S’il y a des sujets que vous aimeriez voir traités, dites le moi en commentaire.
N’oubliez pas le petit cœur et laissez moi un commentaire, je suis toujours très heureuse d’avoir vos retours.
A très vite ❤️
Sylvène
Très intéressant Sylvène, Merci
Mais comme Trump est un businessman, on peut imaginer qu'il a vendu en masse un paquet d'actions, lancé ses droits de douane pour les faire baisser, les racheter à bas prix avec une nouvelle pirouette, et les revendre quand tout sera rentré dans l'ordre mondial.
Manipulation, quand tu nous tiens ?!